Après la vente de la succession de Karl Lagerfeld à Monaco qui a connu un magnifique succès en atteignant 12 millions d'euros, et avant d'autres enchères l'an prochain à Cologne, c’est rue du Faubourg Saint-Honoré, chez Sotheby’s, que se tient les 14 et 15 décembre la plus extraordinaire des ventes aux enchères d’objets ayant appartenu au célèbre couturier.

Karl Otto Lagerfeld -né à Hambourg en 1933 et mort à Neuilly-sur-Seine, en 2019- photographe, designer, ancien directeur artistique chez Chanel, adorait Paris. C’est dans notre capitale qu’il s’installa en choisissant, avec Princesse Choupette, son chat fétiche, différents lieux d’habitation (une vingtaine !). Mais c’est principalement dans l’appartement de la rue des Saints-Pères, ou dans celui du Quai Voltaire, « mon refuge, mon lieu de travail et de repos » que Karl fit acte d’une surprenante création contemporaine. Il élimina en effet « toute référence stylistique » tant en ce qui concernait son décor que son mobilier. « Pas d’ancien dans cet appartement, surtout pas, je veux une rupture, quelque chose de très épuré ! » lançait-il à Pascal, son ami tout comme à d’autres fidèles : Jean-Louis Gaillemin, Romain Bouroullec, Marc Newson… « Nous avions un dialogue par meubles interposés » se souvient, Martin Szekely.

L’énorme « vaisseau spatial », surnom donné à l’appartement de Karl Lagerfeld, par certains des visiteurs, dans ce quartier chic de Paris, regorgeait d’objets tous plus beaux les uns que les autres. Pour preuve, ce que le public a eu la possibilité d’admirer cette semaine, avant la vente parisienne : un fauteuil en aluminium poli et métal laqué (lot 510) créé en 1998 par Marc Newson (estimé entre 40 et 60.000 euros), ou une table (lot 582) « nid d’abeille » numérotée 2/8 de Martin Szekely et qui avoisinera probablement les 20.000 euros. « Cette vente aux enchères devrait connaître un incroyable succès ! », annonce déjà Pierre Mothes, Vice-Président. Le commissaire-priseur ne manque pas de nous rappeler le groupe monumental des deux Vestales tenant une athénienne qui pourrait être adjugé entre 40 et 60.000 euros (plâtre peint blanc sur son socle -fin 18ème-début XIXème).

Karl Lagerfeld était un insatiable collectionneur qui s’attachait à toutes sortes d’objets éclectiques, nouveaux ou anciens, mais toujours exemplaires. Pour preuve : un escalier de bibliothèque, des grands vins de Bordeaux, des tableaux de Marie Laurencin ou de Georges Lepape, un lit XVIIIème, des objets ayant appartenu à Sarah Bernhardt, des valises neuves ou anciennes portant ses initiales, ou encore des centaines de paires de gants en cuir noir cloutées estimés entre 300 et 500 euros…

« Ce qui est amusant, c’est de collectionner mais pas de posséder » confiait-il, en ajoutant : « mais pour se dépouiller, il faut avoir possédé... ». L’une de ses périodes fétiches fut l’Art déco, à en croire l’exposition, bien qu’il ait été fasciné par des créations Memphis en 1990, le mobilier XVIIIème en 2000 ou carrément Design en 2003. « Avant lui, Jacques Doucet ne s’était contenté d’une seule mue ! » confie Patrick Mauriès, le rédacteur du bel avant-propos du catalogue de vente.
C’est au début des années 1970, sous l’influence de Jean Garçon, François-Xavier et Claude Lalanne que Karl Lagerfeld, « l’homme aux lunettes noires », lance ses collections design. Arch Concept nait en 2000. « C’est comme ça que le "kaiser" de la mode démarra ses chantiers Quai Voltaire et rue des Saints-Pères » raconte encore, Pierre Mauriès. Et les lunettes noires de Karl, peut-on les admirer ?... « Pour moi, ces lunettes noires étaient comme des ombres à paupière portables » confiait-il, lors d’une interview.« À travers ces verres teintés, le monde est plus beau et tout le monde rajeunit instantanément de 10 ans. Voilà pourquoi je porte toujours des lunettes noires ».Le noir, Karl Lagerfeld l’aimait et il l’utilisait avec élégance dans quasi toutes ses créations, principalement lorsqu’il était chez Chanel. Tout le monde garde en effet le souvenir d’un homme à la longue silhouette noire, lequel, paradoxalement, détestait la pénombre !
"Karl, mon rêve dans la nuit noire !" (Marlène Dietrich)
Dans le livre Le mystère Lagerfeld (Fayard), Karl aurait dit : "Je préfère les liens qui ne sont pas les liens du sang, les liens d’amitié, les affinités, je n’ai pas de famille." Evoquait-il à nouveau sa chatte birmane aux yeux saphir ? Une chose est sûre la petite boule de poils crème bénéficiera, comme sept autres héritiers, d’un important pactole ! Sur la liste des adorés, se trouveront sans doute Françoise, sa gouvernante, Sébastien Jondeau, son ancien garde du corps, Baptiste Giabiconi, l’ami mannequin de la dernière heure (auteur du livre : Karl et moi sorti l’an dernier), qui a rendu en février dernier un immense hommage à « l’ange-gardien ».

Rue des Saints-Pères, quai Voltaire, comme au Pavillon de Voisins, à Louveciennes, le temps s’est arrêté entre jardins, cours, chambres à coucher et bureau en bakélite noire poncée par Maarten Van Severens. « L’essentiel dans la vie, c’est de se réinventer » confiait le grand couturier à qui fut remis en 2010, la Légion d’honneur.
Michèle Villemur
Vente Sotheby’s 14 et 15 décembre 2021 – Partie II
76, rue du Faubourg St-Honoré
Vente dirigée par Jeanne Calmont avec Aurélie Massou, Pierre Mothes
Enchères sur le net : bids.paris@sothebys.com
33 0153055348 – ou : Caroline Lescure 0153055310
Sothebys.com/bidonline