La Maison Guy Savoy : un écrin sur la Seine

Guy Savoy est un esthète. Il nous reçoit dans ce magnifique Hôtel de la Monnaie où il a installé ses fourneaux. « Ici, nous confie-t-il, on se trouve dans un bâtiment du XVIIIe siècle, c’est le Louvre, le pont des Arts, la Seine, les bouquinistes…. Le rythme des promeneurs me semble être le plus lent de Paris. Cela ajouté à la lenteur de la Seine… » L’homme est charmant, sa table vient d’être sacrée la meilleure du monde, en tête du classement des 1 000 meilleurs restaurants de la planète par « La Liste », une sélection gastronomique de référence. Barack Obama, Bill Clinton, Jacques Chirac, Jean Reno, Clint Eastwood ont dîné à la Monnaie. De son sublime restaurant, on aperçoit le pont Neuf, « la plus belle sculpture de Paris, surtout le soir, une œuvre sublime d’évidence, dans la simplicité, l’efficacité, la beauté… »

 

La Monnaie de Paris est vraiment un lieu extraordinaire pour un restaurant...  

Originellement on y frappait la monnaie… C’est insensé d’avoir au cœur du Paris historique ce bâtiment dédié à l’industrie construit en 1775.  Ce lieu est unique par toutes ces choses… La première fois que je l’ai visité, j’en ai eu le souffle coupé ! Une beauté totale. J’ai découvert des ateliers avec de grandes affiches de la CGT (une organisation syndicale, Ndlr) sur les murs…, ce qui m’a surpris, pour le coup. Et c’étaient de vrais ateliers, avec des vitres en ferraille, c’est très « à l’ancienne ». À présent on se dirige vers la légèreté, la subtilité que l’on ressent quand on traverse les lieux, le soir, au moment ou il n’y a plus que nous autour. On peut s’imprégner d’une atmosphère unique, on dirait qu’on est à Versailles.

 

On vient à la fois pour le lieu et pour la cuisine ?

On y vient pour une maison. La cuisine est un des ingrédients de la maison. On vient de parler d’esthétique, mais moi je n’entends mon métier que par une simplicité que je vais qualifier de complexe. Cela passe par une atmosphère, par la générosité, par l’art, c’est tout ça qui fait mon métier. Je ne pourrais pas bien le faire autrement que dans cet environnement ciselé…

 

C’est un défi quotidien, il faut être à la hauteur…

C’est le défi de n’importe quel restaurant. On peut tout dire au sujet de l’établissement, mais qu’est-ce qui compte ? Ce sont les impressions de chaque convive. On est dans l’hyper concret. C’est bien ou ce n’est pas bien ! On pourra faire n’importe quel discours avant ou après, on composera toujours avec de l’extrait de concret. Quoi de plus réel que les choses présentes dans l’assiette ? Passé tout ça, il faut également une bonne dose de confiance envers celle ou celui qui a fait à manger. Tout comme le fait de manger est un acte très intime…

 

Pourquoi les Chinois qui viennent à Paris devraient-ils venir chez vous ?

Je dirais… venez passer un moment dans un pan de la culture française. Venez découvrir cette organisation typique à notre pays, peut-être prendre un peu de temps pour l’apéritif, ne pas avoir tous les plats qui arrivent en même temps sur la table, avoir une sorte de construction de repas autour d’entrées, de poissons, de viandes, de légumes…

Volailles, légumes, pièces de viande, poissons, fromages, vins, pains… notre cuisine est extrêmement diverse et cette diversité en fait un phare. C’est en général ça que nos convives, chinois par exemple, viennent découvrir chez nous.

La cuisine française est peut-être la plus adaptée aux habitudes chinoises. Il y a des similitudes entre les deux cultures. Dans la gourmandise par exemple. Dans la curiosité et dans cette typicité… Quand on voyage dans un pays étranger, c’est ce qu’on attend.

 

Quand avez-vous su que vous vouliez devenir cuisinier ?

Très jeune. Très vite je me suis aperçu que mes journées étaient ponctuées par des menus plaisirs, le petit déjeuner le matin, la pomme que mettait mon père dans mon cartable pour la récréation, et après ça je me demandais ce que ma mère m’avait fait à manger pour le repas de midi…  Je suis rentré en apprentissage à 16 ans et j’ai eu ma première place de chef à 23 ans. C’est la transformation qui me fascine. Celle qui fait passer la nourriture de l’état de comestibilité à l’état de sensation de plaisir, avec des produits très simples… et la seule intervention du cuisinier. La cuisine est l’art de transformer en joie, en quelques secondes seulement, des produits chargés d’histoire.

 

Votre passion est-elle aujourd'hui assouvie ?

Non, pas du tout… Ça fait cinquante ans que je fais ce travail. Dans mon métier on travaille beaucoup mais on ne se plaint jamais parce qu’on a aucune raison de le faire. Les jeunes diraient « c’est un kif ! ». Je suis passionné par les produits qui arrivent. Ce sont eux qui m’émeuvent. Mon père était jardinier. Je connais le temps qu’il faut, juste pour obtenir des radis ou des carottes…

J’ai encore plein de choses à faire mais ma passion est assouvie parce que je la vis.

 

Que représente la Chine pour vous aujourd’hui ?

Un milliard et demi de personne et ça me fascine… On a tenté d’ouvrir des restaurants à mon nom à Shanghai et à Shang Dou mais ça n’a pas marché. C’étaient des lieux très intéressants mais je ne suis pas un grand voyageur. J’ai juste un restaurant à Las Vegas… J’ai fait un dîner sur la Muraille de Chine, pour Château Margaux avec 70 convives, de gros acheteurs de cette maison… un moment vraiment exceptionnel.

 

Un ami chinois vous dit qu’il arrive bientôt à Paris pour la première fois… Que lui conseillez-vous ?

Je l’amène sur la place Igor-Stravinski. C’est un magnifique empilage des époques. C’est très intéressant.

 

Vous avez été désigné comme meilleur cuisinier du monde par Philippe Faure… Qu’est-ce que ça représente pour vous ?

Je me suis dit, si en plus d’être unique je suis le meilleur, c’est génial !

 

Propos recueillis par Ulysse Gosset

 

  • Restaurant Guy Savoy, Monnaie de Paris :11, quai de Conti, 75006 Paris. Tél. : 01.43.80.40.61.

https://www.guysavoy.com/fr/

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