Quai de la Tournelle se dresse l’un des plus vieux restaurants d’Europe. La Tour d’Argent, « avec vue sur la cathédrale Notre-Dame de Paris depuis 1582 ». Aujourd’hui mieux qu’hier, en découvrant de loin la cathédrale blessée, n'oublions pas qu'il convient de ne pas injurier le sacré...

Longtemps, la Tour a capitalisé sur sa légende lancée par Henri III, qui y découvrit, non pas le bilboquet, mais la fourchette.. Une vue à couper le souffle, l’œillet bleu à la boutonnière du propriétaire, feu Claude Terrail, la danse des canards (au sang, toujours présents à la carte bien que moins en majesté..). La Tour d’Argent devenue un nom commun, un terme générique synonyme de « Grand Restaurant ».. La Tour d’Argent a toujours mis les petits plats dans les grands et tout gourmet suit l’activité de son Chef avec impatience. 15, quai de la Tournelle dans le 5ème arrondissement de Paris, une adresse qui a fait le tour du monde. Le nouveau s’appelle Yannick Franques. C’est dans ce lieu perché que la recette du fameux « Canard au sang » a été inventée !

Au XIXème, Frédéric Delair, le propriétaire et ancien maître d’hôtel, créait un « caneton à bout de fourchette » en le découpant devant le client. Le succès du canard au sang numéroté était au rendez-vous. Les successeurs propriétaires André et Claude Terrail pérennisèrent la recette. Quel client ne revendique-t-il pas encore aujourd’hui son numéro de canard lorsqu’il rentre chez lui (1 million de canard en 2003 !).
Aujourd’hui, le canard est encore vivant, mais le nouveau chef étoilé Yannick Franques, successeur de Philippe Labbé de la Chèvre d’or, privilégie une carte savoureuse offerte en parallèle. « Yannick sait représenter les valeurs et l’héritage de cette Maison familiale, à savoir l’élégance et la sincérité, il peut réinterpréter les goûts de notre époque à travers une cuisine néo-classique, propre à l’établissement depuis toujours » souligne André Terrail. A l’exemple des « œufs mystère » et autres bonnes surprises gourmandes, c’est à la Tour d’Argent que le connaisseur retrouve sa table attitrée.

Meilleur Ouvrier de France en 2004, Yannick Franques a été formé par les plus grands : Christian Constant au Crillon à Paris, Eric Fréchon au Bristol à Paris, Alain Ducasse au Louis XV à l’hôtel de Paris à Monaco, Jean-Louis Nomicos à la Grande Cascade dans le Bois de Boulogne. Sur la Côte d’Azur, il s’est fait connaitre au Château Saint-Martin (en lui redonnant deux étoiles au guide Michelin) puis, à La Réserve de Beaulieu. C’est dans ce paradis sur terre qu’il sublime les produits locaux en lançant « son plat signature » : le Mystère de l’œuf (œuf en neige, brioche en grosse chapelure croustillante, jus de truffe légèrement crémé). Le plat est « dans l’air du temps », ses saveurs sont raffinées et maîtrisées.
« Je fais des essais avec le rouget, je pense aux merguez de poulpe et foie de rouget qui s’associent à la perfection » Yannick Franques

L’air du temps ? C’est justement ce qui mène le Chef jusqu’aux cuisines mythiques de La Tour d’Argent. Au top floor du grand restaurant, le Chef s’emploie, comme il le proclame « à désacraliser la tradition ». Pour lui, « il ne faut pas avoir peur de toucher à l’emblème du monument mais il faut le respecter, bien sûr ». Il compte « s’y confronter pour le dépoussiérer » et ainsi mieux réinventer de goûteuses recettes. « L’une de mes sources d’inspiration est le livre de Claude Terrail qui date des années 90. A cette époque, de grands généraux américains venaient manger à La Tour d’Argent et chacun attribuait son nom à une recette de canard, raconte Yannick Franques. J’étudie ces recettes en les remettant au goût du jour ». La Tour d’Argent peut être fière d’une carte qui réveille les papilles.

En automne, il est question du fameux lièvre à la royale mais qui sous sa houlette, devient : « Canard à la royale ». « En ce moment je fais des essais avec le rouget, je pense aux merguez de poulpe et foie de rouget qui s’associent à la perfection ». Pour André Terrail, actuel propriétaire de La Tour d’Argent : « un Meilleur Ouvrier de France comme Yannick Franques sait parfaitement perpétuer l’héritage de notre maison familiale avec sincérité pour créer ou revisiter de véritables plats gastronomiques. Il apporte avec doigté une touche personnelle empreinte de modernité ». On peut ainsi redécouvrir la Quenelle de brochet André Terrail (du nom du grand-père), Duxelle de champignons de Paris et persil plat, sauce Mornay mousseuse. Ou encore le Caneton Frédéric Delair en deux services : rôti entier, découpé à la volée, sauce au sang, pommes soufflées ; puis fine tartelette, effiloché de cuisse confite au foie gras, boudin noir légèrement pimenté. Les critiques ont célébré les «asperges blanches de la ferme de Nogaret, pochées et déguisées de leurs sucs, arlequin de perles de jaune d’œuf, pralin d’amande, caviar osciètre Impérial, citron Meyer». Ou les langoustines pêchées au large de l’Écosse qui viennent vous serrer la pince - le terme est exactement choisi, car les bestioles sont vivantes. Elles repartent en cuisine et font leur retour quelques minutes plus tard, les «têtes croustillantes dans leurs sucs», les «queues à peine cuites en saveur iodées». Allez déguster le saumon sauvage de l'Adour dos mi-cuit aux amandes et citron avec mousseline d'amande praliné ; le Ris de veau doré au sautoir ; l'Agneau fermier du Pays d'Oc ; ou le caneton de Challans Mazarine : suprême rôti et cuisse braisée. La carte à la croisée des temps de Yannick Franques réunit à la fois l’excellence d’une cuisine traditionnelle et la passion d’un chef formidablement accroché aux étoiles.
Michèle Villemur
La Tour d’Argent 15, quai de la Tournelle - 75005 Paris
Tél : +33 (0)1 43 54 23 31 E-mail : resa@tourdargent.com