Il n'y a pas que le « Lac des cygnes » à l'Opéra Garnier… Depuis sa construction en 1860, l'édifice abrite à une dizaine de mètres sous la scène, au niveau du cinquième sous-sol, un intrigant bassin seulement connu d'une poignée d'initiés. À quoi sert-il ?
C'est un espace souterrain à l'abri des regards. La porte qui conduit au sous-sol n'a l'air de rien. Tout le monde passe devant sans y porter aucune attention.
Pourtant, c'est bien par cette volée d'escaliers étroits qu'on accède au fameux lac souterrain. Loin d'être une coquetterie architecturale, ce mystérieux bassin a en fait été conçu par l'architecte de l'Opéra, Charles Garnier, en 1860. Une importante nappe phréatique, alimentée par un bras préhistorique de la Seine, provoquait en effet une inondation permanente. « Le terrain était très marécageux, explique Dominique Bonneau, le responsable de la maintenance. Les bassins ont permis de canaliser les eaux d'infiltration tout en stabilisant l'édifice. »
Une prouesse en plein Paris !
Le lac montre aussi à quel point Charles Garnier – qui grilla la politesse à son maître Eugène Viollet-Le-Duc, lors du concours d'État –, était un génie plein d'astuces. La construction facilite aussi la répartition des descentes de charges de la plus haute et imposante partie du palais. Le lac est creusé sous la scène, partie la moins lourde du bâtiment, et fait ainsi office de lest.
Cette curiosité a donné naissance à la légende d’un lac souterrain alimenté par un cours d’eau portant le nom de « Grange-Batelière » et entretenue par le célèbre roman de Gaston Leroux : « Le Fantôme de l’Opéra ».
En réalité, la rivière coule un peu plus loin… Un siècle et demi plus tard, rien n'a changé. Nous voici dans une vaste salle souterraine où courent sur les murs et le plafond des tuyaux de toutes tailles. Au milieu, un trou dans le ciment attire le regard. Une cage de grillage l'entoure pour en interdire l'accès. On distingue quelques marches qui s'enfoncent dans une eau claire, aux reflets verdâtres.
Carpes, barbeaux et anguille
La réserve couvre une surface de 25 m sur 50, divisée entre une vaste cuve et un bassin plus petit. Une armée de piliers et de voûtes rendent l'endroit labyrinthique. L'eau effleure les briques du plafond.
Les hommes-grenouilles des sapeurs-pompiers de Paris viennent régulièrement s'y entraîner. « L'avantage est que l'eau est vraiment claire, avec une température idéale de 12°C », avance le caporal Antoine Gsegner, qui garde un souvenir ému de « la beauté des voûtes » sous-marines.
La maintenance est effectuée en barque par les techniciens responsables de l’endroit, qui nourrissent aussi les carpes qui y vivent, excellent indice, de surcroît, de la qualité de l’eau.
Dominique Bonneau y signale aussi « des barbeaux, des poissons rouges et des perches ». Et même une anguille géante baptisée « Neunœil », « rescapée de la poissonnerie d'un hypermarché » selon son adjoint. « Une légende dit qu'à chaque fois que les pompiers perdent un des leurs, ils lâchent un poisson dans le bassin », rapporte le capitaine Jean-Marie Lecoq, chef de la brigade des plongeurs.
Un vrai ballet aquatique en somme ! Tous les quatre ans, cette étonnante cuve voûtée de 10 000 m³ est vidangée. On peut alors y circuler en bateau.
Autre atout : en cas d'incendie, c'est là que les pompiers spécialement formés puiseraient l'eau nécessaire pour venir à bout des flammes. Fort heureusement, on ne déplore à ce jour qu'un seul sinistre, le 23 décembre 1950. Le feu fut maîtrisé. en un quart d'heure.