C’est l’un des cinq plus grands chefs français, un créateur culinaire et un globetrotteur. Son adresse à Paris au six tue Balzac est l’une des plus prestigieuses. Il a ouvert une quinzaine de restaurants dans le monde, le dernier à Shanghai le « Comptoir de Pierre Gagnaire ». Un Maître de l’Art. Il nous parle de la cuisine comme d’un « lieu de tendresse ».
Pierre Gagnaire : « mon instinct prime sur tout ! »
Comment définiriez-vous votre style ?
Le style, c’est créer de l’émotion, le petit côté « magique » qui, au jour le jour, permet de faire évoluer un plat. Quand j’ai commencé à travailler pour moi-même, dans les années 80, je trouvais qu’il manquait quelque chose dans les restaurants, qui était « la beauté de l’assiette ». Pour moi c’était important que le contenant apporte de la beauté, de la sérénité, de l’élégance et une forme de tendresse. Le contenu est bien sûr au-dessus de tout, mais reste servi par le contenant.
Au début, je n’aimais pas trop ce métier, mais il a fini par me plaire lorsque j’ai compris qu’il favorisait la rencontre avec les autres. C’est ce côté émotionnel qui touche les gens, qui crée du lien avec eux, à travers la table, qui m’a séduit.

Pierre Gagnaire : « Le secret c’est rester moi-même ! »
Vous n’aimiez pas ce métier ! Vraiment ?
Je suis l’aîné d’une fratrie de quatre et je me suis retrouvé avec une toque sur la tête à quinze ans, en me disant « c’est mon destin ». Je n’aimais pas du tout, ça ne m’intéressait absolument pas. Mais j’ai compris que la cuisine pouvait être un acte créatif, tout comme un moyen d’aller vers les autres, sans être un « grand génie » manuel et en ayant quitté l’école très jeune.
A quel âge avez-vous eu cette révélation ?
J’avais une vingtaine d’années… Mon père est d’ailleurs devenu cuisinier restaurateur tout à fait par obligation, au sortir de la guerre il était orphelin, il fallait vivre. Il est parvenu à rencontrer du succès dans son restaurant Le Clos Fleuri à Saint-Priest-en-Jarez, près de Saint-Etienne, mais il n’aimait pas ça. Il le faisait pour lui et ses enfants.
On parle Pierre Gagnaire d’un « ton Gagnairien » …
C’est peut-être le rapport que j’entretiens avec les gens qui m’entourent. Pour moi la cuisine n’est pas un lieu de pouvoir, mais plutôt de tendresse. Je l’ai payé cher, il y a 21 ans j’ai tout perdu car j’ai mis mon métier sur un niveau sans doute presque trop haut, en occultant complètement le côté commercial. Comme beaucoup d’échecs ça m’a servi, ça m’a permis de rebondir, de changer de vie… ça m’est arrivé à Paris ou j’ai bénéficié d’une reconnaissance importante, avec la possibilité d’avoir des projets extérieurs.
C’était important pour vous cet échec ?
Oui, il a été fondateur. Il m’a obligé à voir la vérité en face. Issu d’un milieu catholique, on m’a appris que l’argent était quelque chose de « sale », on n’en parle pas, on n’y touche pas…
On a écrit de vous que vous avez la fulgurance, le grain de folie indispensable au vrai génie… une cuisine aussi brillante que savante qui parfois déroute...
Moi, je ne me rends pas compte de cette folie. Je ne m’interdis pas de démonter quelque chose qui apparemment fonctionne bien. Mon instinct prime sur tout. Tout comme ma créativité, cette chose qui vous permet d’avoir un regard un peu différent des autres.
Pierre Gagnaire : « Le secret c’est rester moi-même ! »
Quel regard portez-vous sur la cuisine française d’aujourd’hui ?
Si aujourd’hui mon métier dure, c’est que la technique a pris le relai. Je me suis donné les moyens de m’entourer de gens qui ont la technique, la rigueur, ce savoir-faire qui permet de reproduire les plats au quotidien. Là, on tombe dans ce que l’on appelle la régularité et donc l’artisanat, ce qui est très noble. En résumé, tous les jours, on est en cuisine, le service commence dans une heure, il va se passer quelque chose. Et c’est possible grâce à cette régularité, cet artisanat du quotidien.
C’est plus la régularité que la créativité qui compte ?
Les deux sont liés mais la créativité pure est vouée à l’échec. C’est une machinerie, un petit théâtre qui tous les jours se met en route, dans lequel chacun doit jouer sa partition…
On vous retrouve dans votre restaurant parisien mais vous arrivez de Shanghai, vous êtes surbooké. Paris, Londres, Hong-Kong, Séoul, Dubail, Bordeaux… qu’êtes-vous allé faire en Chine ?
En Chine, nous avons ouverts à Shanghai il y a quelques mois le « Comptoir de Pierre Gagnaire », un quartier formidable, l’ancien quartier français. C’est un hôtel construit dans une concession française, un quartier rempli de petits pavillons, que je trouve charmants. Les adresses ouvertes à Shanghai, Hong Kong, au Vietnam, à Tokyo, sont des caisses de résonnance pour nos autres maisons, notamment à Paris, qui reste mon port d’attache, qui me tient à cœur.
Dans votre imaginaire, la Chine ça représentait quoi pour vous ?
Quand on vient en Asie, tout revient à la Chine. C’est le berceau de tout. J’ai l’impression que la Chine va peut-être sauver le monde, en termes écologiques par exemple. La commandante de bord d’un avion, avec qui j’ai parlé au retour de Shanghai m’a dit qu’on voyait de plus en plus d’éoliennes dans le paysage. La Chine a parfaitement compris les enjeux écologiques… si des pays de cette taille s’en occupent, je pense que tout le monde va suivre.
Comment voyez-vous la cuisine chinoise ?
Je la trouve fascinante. Je suis particulièrement adepte du canard laqué.
Est-ce que l’épisode de la cuisine moléculaire en France a eu une influence sur votre créativité ?
J’ai travaillé avec, il y a une vingtaine d’année mais ça n’a pas vraiment eu d’influence directe sur mon travail… je suis très hermétique aux influences. Je suis très concentré sur mon ressenti tout en étant également un « éponge », par ma fibre artistique.
Comment vous faites pour être à la fois un des plus grands chefs et à la fois un homme d’affaires ? Est-ce compatible ?
Je ne peux pas dire que je suis un homme d’affaire, je n’ai pas de volonté expansionniste. Ce ne sont que des rencontres. Des rencontres humaines qui vont parvenir à me convaincre de partir dans une aventure. Le secret pour réussir les deux c’est rester moi-même. Ecouter les autres, ne pas être buté, ni se surévaluer.
Quelle est votre passion ?
Ma passion c’est les autres. La cuisine me permet d’accéder aux autres. L’avenir de notre métier passe par l’authenticité du discours.
Trouvez-vous que l’image de la France est en train de changer ?
Les gens que je rencontre à l’étranger sont fascinés par le couple formé par Emmanuel et Brigitte Macron. De même que la poignée de main échangée avec D Trump. Avec Emmanuel Macron, on sent que la France, à travers les symboles qu’envoie son président, cherche à reprendre sa place dans le débat international.
Le Paris de Gagnaire
Paris c’est les bistrots, les théâtres, c’est l’élégance, l’impertinence… j’adore boire mon café dans un bistrot. De nos jours, tout tend à devenir mondialisé, uniformisé, mais la beauté de quartiers comme Notre Dame, les Invalides reste unique.
Un lieu favori à Paris ?
Je ne suis pas un vrai parisien. Je suis tellement dans mon travail, je suis un homme du monde… J’aime la capitale car elle m’a permis de m’exprimer, de rebondir. Je pense qu’il faut aider l’artisanat, ces métiers uniques qui font la différence. Paris n’est pas une mégapole, c’est encore un village.
Votre conseil aux visiteurs ?
Aller découvrir voir le théâtre Edouard VII, et le canal Saint Martin. Marchez dans Paris, au gré du vent, hors d’une « meute »… Paris est une ville civilisée, le risque d’incident reste minime… baladez-vous dans Paris… !